L’assurance vit une révolution silencieuse. Longtemps conservatrice, elle s’impose aujourd’hui comme l’un des secteurs les plus dynamiques en matière de transformation numérique. Portés par l’émergence du cloud, l’essor de l’intelligence artificielle et la montée des risques cyber, les acteurs historiques accélèrent leur mue technologique à marche forcée.
Derrière les slogans de digitalisation et d’agilité, un constat s’impose : En 2026, les assureurs qui maîtriseront leur transformation IT prendront l’avantage, tandis que les autres resteront prisonniers de leurs héritages techniques.
Trois enjeux marquent cette transformation : moderniser les systèmes cœur, industrialiser l’intelligence artificielle et renforcer la cybersécurité dans un écosystème de plus en plus ouvert.
1. Moderniser les Core Systems : le chantier de la décennie
La dette technique : un frein majeur à la compétitivité des assureurs
Chez tous les assureurs, un même sujet anime les directions informatiques : la dette technique. Derrière ce terme un peu abstrait se cache une réalité très concrète, des systèmes centraux développés il y a vingt, parfois trente ans, qui supportent encore des volumes colossaux de contrats et de données. La dette technique des assureurs résulte de plusieurs causes clés :
D’abord, l’héritage technologique : les systèmes centraux (mainframes, progiciels maison, bases de données propriétaires) ont été bâtis dans les années 80-90 pour répondre à des besoins précis, dans un contexte de réglementation stable et de distribution traditionnelle. Ces outils ont été empilés, patchés, interconnectés au fil des décennies, sans refonte globale.
Ensuite, la complexité fonctionnelle du secteur, la multitude de produits, les réglementations locales, les processus de gestion hétérogènes ont souvent découragé toute réécriture complète des systèmes. Enfin, la priorisation du court terme (lancer de nouveaux produits, répondre à la conformité, réduire les coûts) a repoussé les chantiers structurels de modernisation.
Ces plateformes, conçues pour un monde analogique, freinent aujourd’hui toute innovation. « Chaque évolution produit exige désormais plusieurs mois, parfois plus d’un an », nous rapportait dernièrement un DSI d’un grand groupe européen.
Dans un marché où les assurés exigent une réactivité immédiate, ce rythme est devenu intenable. Cette dette technique pèse aujourd’hui lourdement sur la performance et la compétitivité, notamment à travers les points suivants :
Rigidité :chaque évolution produit ou réglementaire nécessite des développements complexes et coûteux.
Lenteur de mise sur le marché :la conception d’une nouvelle offre prend des mois, parfois des années.
Coûts de maintenance élevés :la rareté des compétences sur des technologies anciennes (COBOL, AS/400…) augmente les dépenses.
Frein à l’innovation :les APIs, la data en temps réel ou l’intelligence artificielle s’intègrent difficilement à ces architectures monolithiques.
Risque opérationnel :les incidents, failles de sécurité et limitations de capacité sont plus fréquents.
Du legacy au cloud : la transformation digitale des assureurs
La plupart des grands acteurs ont entamé, souvent dans la discrétion, un chantier de modernisation sans précédent.
Leurs objectifs sont les suivants :
Passer à des architectures cloud-native et modulaires,capables de s’adapter en permanence aux évolutions réglementaires, technologiques et comportementales.
Mettre en place l’architecture orientée services,(microservices, APIs)qui permet de découpler les fonctions et de moderniser par étapes.
Mettre en place une gouvernance de la dette technique,avec une mesure régulière de son coût et de son impact.
Faire des partenariats avec des insurtechs,qui apportent agilité et innovation autour des systèmes existants sans refonte totale.
La transformation dépasse la technologie : elle nécessite une refonte des processus, des compétences et de la culture d’entreprise.
Un grand assureur européen a ainsi remplacé son système de gestion des contrats, vieux de vingt ans, par une plateforme basée sur des microservices. La migration s’est faite progressivement, ligne de métier par ligne de métier (auto, santé, habitation) pour limiter les risques.
Une fois la couche d’API déployée, l’entreprise a pu ouvrir son système à de nouveaux partenaires : courtiers digitaux, insurtechs, plateformes de comparaison.
Résultat :
Le coût de maintenance a chuté de 35 %, et le lancement d’un nouveau produit ne demande plus que trois mois, contre neuf auparavant.
Ces projets massifs exigent des investissements lourds et une vision à long terme, mais ils posent les bases d’une nouvelle agilité. En 2026, la modernisation des core systèmes ne sera plus un choix, mais une condition de survie.
2. L’intelligence artificielle : de la promesse à la pratique
S’il y a un domaine où la transformation s’accélère à une vitesse spectaculaire, c’est bien celui de l’intelligence artificielle (IA). En quelques années, elle est passée du statut d’expérimentation à celui de véritable moteur opérationnel pour les assureurs.
Là où, hier encore, quelques projets pilotes servaient de vitrines technologiques, 2026 marque une nouvelle étape : celle de l’industrialisation massive des usages. L’IA s’intègre désormais à chaque étape du parcours client et devient un levier central de la chaîne de valeur de l’assurance, de la souscription à la gestion des sinistres, en passant par la tarification, la détection de fraude ou encore la relation client.
Une expérience client plus fluide et personnalisée
L’IA peut transformer d’abord la relation entre l’assureur et son client. Les agents conversationnels (chatbots, voicebots) peuvent répondre instantanément aux questions simples : obtenir une attestation, suivre un sinistre ou simuler un devis ne prend plus que quelques secondes.
En parallèle, les algorithmes d’analyse comportementale permettent de proposer des produits sur mesure, adaptés au profil et au contexte de chaque assuré.
Cette personnalisation renforce la satisfaction et la fidélisation : l’assureur devient un partenaire de confiance plutôt qu’un simple gestionnaire de contrat.
Une souscription plus intelligente et réactive
Au moment de la souscription, l’IA aide les assureurs à mieux évaluer et tarifer le risque. Grâce à l’analyse de vastes volumes de données (historique client, données publiques, objets connectés…), les modèles prédictifs calculent avec précision la probabilité de sinistre et ajustent la prime en conséquence. Cette approche améliore à la fois l’équité pour le client (chacun paie selon son profil réel) et la rentabilité pour l’assureur, qui maîtrise mieux son portefeuille de risques.
Une gestion des sinistres plus rapide et plus fiable
C’est sans doute dans la gestion des sinistres que l’IA démontre le plus concrètement sa valeur. Les outils de reconnaissance d’images peuvent estimer en quelques secondes le montant d’un dégât automobile à partir d’une simple photo. Les dossiers simples sont automatiquement indemnisés, libérant du temps pour les cas complexes.
Parallèlement, les systèmes de détection de fraude analysent des milliers de signaux faibles pour repérer des comportements suspects : déclarations incohérentes, réclamations répétitives, connexions entre plusieurs acteurs…
Résultat :
Traitement accéléré, fiabilité renforcée et meilleure prévention de la fraude.
Un levier de performance interne
L’IA ne transforme pas seulement la relation client, elle optimise aussi les processus internes. Les solutions de RPA (Robotic Process Automation) automatisent les tâches administratives répétitives : saisie, rapprochement, contrôle de cohérence, etc. Les outils de pilotage prédictif aident les directions à anticiper les évolutions du portefeuille, la sinistralité ou les besoins en trésorerie.
Cette automatisation permet de concentrer les équipes humaines sur les activités à plus forte valeur ajoutée : conseil, analyse, innovation.
Une transformation sous surveillance
L’avenir de l’assurance se jouera dans cette capacité à concilier performance technologique et confiance. L’objectif n’est pas de remplacer l’humain, mais de lui donner de nouveaux moyens d’agir : une assurance augmentée, plus réactive, plus prédictive et plus proche de ses clients.
Un grand assureur santé international illustre bien cette dynamique. Face à des volumes croissants de déclarations de sinistres, il a mis en place une plateforme d’IA reposant sur le traitement automatique du langage naturel (NLP). Les déclarations des clients sont désormais analysées en temps réel. Un modèle de scoring détermine le niveau de complexité de chaque dossier : les cas simples (environ 80 %) sont traités automatiquement, tandis que les situations sensibles (soupçons de fraude, montants élevés, contextes médicaux complexes) sont confiées à des experts humains.
Le résultat est spectaculaire : le temps moyen de traitement a été divisé par quatre, et la satisfaction client a bondi de 20 %.
Ces gains d’efficacité ne sont possibles que si les assureurs parviennent à conjuguer industrialisation et éthique.
Les régulateurs, en Europe notamment, veillent à ce que les modèles d’IA restent explicables et non discriminatoires. Cette exigence pousse les assureurs à créer des comités d’éthique des données et à mettre en place des audits réguliers de leurs algorithmes. Autrement dit, l’intelligence artificielle n’est plus un laboratoire d’innovation mais il s’agit aujourd’hui d’une infrastructure stratégique, mais encadrée.
3. Cybersécurité et risques tiers : la confiance à l’épreuve de l’ouverture
Un secteur plus ouvert, donc plus vulnérable
Dans un environnement où les données personnelles et financières constituent la matière première du métier, la moindre faille peut se transformer en crise de confiance majeure. Une fuite d’informations clients, une compromission du système de paiement ou une attaque par ransomware ne relèvent plus du scénario hypothétique : elles figurent désormais parmi les risques opérationnels les plus surveillés par les régulateurs.
Les grandes compagnies d’assurance ont compris que la cybersécurité ne pouvait plus être un simple département technique : elle devient un pilier central de la stratégie d’entreprise.
La transformation numérique pousse les assureurs à collaborer avec une multitude d’acteurs : start-ups insurtech, courtiers digitaux, hébergeurs cloud, agrégateurs de données, prestataires d’intelligence artificielle.
Cette ouverture stimule l’innovation, mais elle multiplie les points de vulnérabilité : plus la chaîne de valeur est interconnectée, plus le risque d’intrusion augmente. La question n’est donc plus « si » une attaque surviendra, mais « quand » et « comment » elle sera détectée, contenue et résolue.
La donnée client, cible stratégique des cybercriminels
Les données clients sont au cœur de la promesse de valeur de l’assurance moderne : tarification personnalisée, prévention, indemnisation accélérée…
Mais cette richesse en fait aussi une cible privilégiée pour les cybercriminels. Les attaques cherchent à exploiter ces informations pour détourner des fonds, usurper des identités ou revendre des données sensibles.
Garantir l’intégrité, la confidentialité et la disponibilité de ces données n’est donc plus un enjeu de conformité, mais c’est devenu une condition essentielle de continuité d’activité et de confiance.
Vers une cybersécurité intégrée et renforcée
Les assureurs les plus avancés adoptent une approche globale et intégrée de la cybersécurité :
Évaluation continue des risques tiers, notamment dans la sélection et le suivi des partenaires technologiques.
Culture de la vigilance partagée entre les équipes IT, métiers et direction générale.
Ajuster automatiquement les paramètres d’exécution selon les conditions changeantes
Simulation régulière de crises cyber pour tester la résilience opérationnelle.
Investissements dans la cybersécurité préventive (chiffrement, segmentation réseau, surveillance comportementale).
Mise en conformité proactive avec les exigences réglementaires (DORA, RGPD, NIS2…).
Dans un monde de plus en plus ouvert, la confiance devient l’actif le plus précieux pour un assureur. Les clients attendent que leurs données soient protégées avec le même sérieux que leurs biens ou leur santé. La cybersécurité n’est donc pas qu’une affaire de pare-feux ou de protocoles : c’est un engagement de transparence, de réactivité et de responsabilité.
Les assureurs qui sauront instaurer cette confiance numérique durable disposeront d’un avantage compétitif décisif dans les années à venir.
Un acteur majeur de l’assurance dommages a ainsi lancé un programme de cybersécurité aligné sur sa migration cloud. Au cœur du dispositif : un Security Operations Center (SOC) opérationnel 24 heures sur 24, renforcé par des outils d’analyse prédictive basés sur l’IA.
Les prestataires externes sont désormais évalués en continu via une plateforme de risk scoring tiers, et l’ensemble des environnements informatiques (cloud comme on-premise) est protégé par un Zero Trust Framework, qui considère chaque accès comme potentiellement suspect. En un an, l’entreprise a constaté une réduction de 40 % des incidents liés à des partenaires externes.
Mais la menace évolue vite. Les cybercriminels exploitent aujourd’hui l’IA pour concevoir des attaques plus sophistiquées. En réponse, les assureurs doivent eux aussi s’appuyer sur ces technologies pour anticiper les vulnérabilités, renforcer la détection en temps réel et orchestrer les réponses automatisées.
La résilience numérique devient la nouvelle mesure de la solidité d’un assureur.
Conclusion
En 2026, les assureurs qui tireront leur épingle du jeu seront ceux qui auront compris que la transformation IT n’est pas un projet ponctuel mais un changement de modèle. Modernisation des core systems, industrialisation de l’IA, sécurisation renforcée des écosystèmes : ces trois chantiers ne sont pas indépendants, ils définissent ensemble le futur de la compétitivité dans l’assurance.
Le secteur entre dans une nouvelle phase où la technologie n’est plus un support de l’activité, mais une condition d’existence. Les acteurs les plus avancés seront capables d’offrir des parcours clients fluides, des systèmes fiables, une exploitation intelligente de la donnée et un niveau de sécurité conforme aux exigences réglementaires les plus strictes. Les autres subiront leur legacy et verront leur capacité d’innovation, leur rentabilité et leur attractivité se réduire.
La clé réside dans l’exécution : plan de transformation clair, arbitrages technico-fonctionnels assumés, montée en compétences des équipes, gouvernance de la dette technique, partenariat avec les acteurs tech et insurtech, intégration de l’IA dans les processus cœur. Les assureurs qui réussiront cette orchestration gagneront en agilité, en rapidité et en résilience.
L’assurance de demain sera plus modulaire, plus data-driven, plus ouverte et plus sécurisée. La résilience numérique deviendra un véritable avantage compétitif. Pour les assureurs, 2026 n’est pas une échéance lointaine mais un point d’inflexion stratégique.
Ceux qui prennent dès aujourd’hui les bonnes décisions IT définiront les standards du secteur dans la prochaine décennie, mais ces transformations technologiques ouvrent un débat essentiel : celui de la souveraineté numérique. Un sujet encore trop peu exploré, mais déterminant pour la maîtrise des données et des technologies critiques.
Accompagnement MARGO
MARGO accompagne les assureurs dans la conception et le déploiement de transformations digitales structurantes, de la refonte des systèmes d’information au passage à l’échelle des nouvelles offres et services. Nos experts allient expertise technologique et vision stratégique pour sécuriser les projets, optimiser la performance et créer une assurance plus agile, intelligente et résiliente.
FAQs – Top 3 des enjeux IT pour les assureurs
- Q. Quel est le constat principal concernant la transformation numérique des assureurs ?
- R. Le secteur de l'assurance est en pleine "révolution silencieuse" et est désormais l'un des plus dynamiques en transformation numérique. En 2026, la maîtrise de l'IT sera un avantage compétitif décisif.
- Q.Quels sont les trois principaux enjeux IT identifiés pour les assureurs ?
- R.
- Moderniser les Core Systems (systèmes centraux).
- Industrialiser l'intelligence artificielle (IA).
- Renforcer la cybersécurité et la gestion des risques tiers.
- Q. Qu'est-ce que la dette technique et quel est son impact ?
- R. La dette technique représente les systèmes centraux (souvent des mainframes anciens) développés il y a 20 à 30 ans. Elle cause la rigidité, la lenteur de mise sur le marché des produits, des coûts de maintenance élevés et freine l'innovation (intégration d'APIs, IA).
- Q. Quelles sont les solutions adoptées par les assureurs pour moderniser leurs systèmes centraux (Core Systems) ?
- R. Le passage à des architectures cloud-native et modulaires, la mise en place d'une architecture orientée services (microservices, APIs), et le partenariat avec des insurtechs pour contourner une refonte totale immédiate.
- Q. Comment l'intelligence artificielle (IA) est-elle utilisée dans l'assurance ?
- R. L'IA est industrialisée pour améliorer l'expérience client (chatbots, personnalisation), optimiser la souscription et la tarification des risques, accélérer la gestion des sinistres (reconnaissance d'images, indemnisation automatique), et détecter la fraude.
- Q. Pourquoi la cybersécurité est-elle devenue un pilier stratégique ?
- R. L'ouverture de l'écosystème (partenariats avec des insurtechs, usage du cloud) multiplie les points de vulnérabilité. Les données clients sont une cible stratégique pour les cybercriminels. La cybersécurité est une condition essentielle de continuité d'activité et de confiance.
- Q. Qu'est-ce que la résilience numérique ?
- R. C'est la nouvelle mesure de la solidité d'un assureur. Elle implique la capacité à anticiper, détecter, contenir et résoudre rapidement les incidents, notamment les cyberattaques, souvent en s'appuyant sur l'IA prédictive.